Art Tribal Africain


Le marché de l’art tribal africain


 

« Commissaires-priseurs, galeristes, conservateurs et collectionneurs sont tous captivés et capturés dans un monde où finance et spéculation font et défont les réputations des uns et les prix des autres » Touré, 2015

 

Diala Touré, auteur ayant contribué à la célèbre revue Présence Africaine, nous éclaire sur le marché contemporain de l’art tribal africain, dans l’article « Art africain et marché de l’art : provenance et pedigree des œuvres sans visa », publié en 2015.

 

Art tribal africain : la question de la provenance

 

Dans l’art tribal africain, la provenance d’une œuvre est particulièrement importante. Selon le Larousse et comme Touré nous l’indique, la provenance est « le point d’origine d’un objet ». Il n’est pourtant pas rare, voire très répandu, que les galeristes et commissaires omettent ce critère lorsqu’ils mettent en vente ou exposent un objet. En effet, ils se contentent de venter les mérites du collectionneur qui a été en possession de l’objet et d’évoquer les expositions auxquelles il a participé. Certes, le nom de l’objet (exemple : Masque Dogon) est cité. Toutefois, on ne parle jamais de la traçabilité historique et géographique de l’œuvre. Ces critères devraient pourtant être primordiaux dans l’achat d’un objet d’art tribal africain. Touré souligne ainsi la théâtralisation à l’œuvre depuis le début du XXème siècle. Les galeristes et commissaires préparent la scène avant de présenter un objet à la vente. Que ce soit de manière consciente ou non, ils effacent toute trace de l’Afrique, qui devrait pourtant demeurer l’essence même de l’œuvre. A cet égard, Touré évoque une pratique de « blanchissement ».

 

Le culte de la personnalité sur le marché de l’art tribal africain

 

Outre cet oubli de l’histoire, les acteurs du marché de l’art tribal africain vouent un réel culte aux personnalités riches et célèbres du milieu. Ainsi, si tel objet a appartenu à telle personnalité, il acquiert immédiatement une valeur inestimable. A l’inverse, si le même objet a appartenu à une personne méconnue ou exclue de ce monde élitiste, l’objet n’a aucune valeur marchande. Il est amusant d’observer ce phénomène lors de ventes aux enchères prestigieuses : un objet tout à fait médiocre atteint une somme extravagante grâce au travail de mise en scène. Cette théâtralisation se fait particulièrement à travers les catalogues de ventes. A cet égard, on observe, au fil des pages, la mise en avant de collectionneurs et d’expositions. Tandis que l’ethnie qui a produit l’objet, son histoire, son pays, deviennent tout à fait secondaires. Par ailleurs, certains "galeristes" usent et abusent de célèbres noms dans leurs fiches d’objets. Le but étant uniquement de tromper l’acheteur sur la réelle provenance de la pièce.

Ce type de pratique est également observée par l’auteur Rolande Bonnain-Dulon, en 2005. Dans l’article « Art primitif : prix du désir, prix de l’objet », elle explique que, lorsqu’un objet change de propriétaire, il change simultanément d’identité et de valeur. Cette identité est couramment appelée « pedigree ». Celui-ci est déterminé par la succession de ses différents propriétaires, leur position sociale, leur réputation, leur notoriété ou médiatisation… Les lieux jouent également un rôle dans la détermination du prix d’un objet : le fait d’avoir été exposé dans tel musée, telle galerie, telle salle de vente. Tandis que l’analyse stylistique et historique est déléguée au second rang.

 

Art tribal africain et dirty politic

 

Enfin, Touré tient à souligner une autre pratique propre au marché de l’art tribal africain : la dirty politic. Il s’agit du fait de décrédibiliser son adversaire, en semant le doute sur ses capacités intellectuelles, sur son expertise et sur son éthique de travail. Ainsi, certains acteurs sont totalement exclus du marché car ils représentent un danger pour l’élite. Ces acteurs, dont l’éthique et l’expertise sont souvent bien supérieures, peuvent remettre en question tout l’écosystème d’un marché. Là est la crainte de l’élite : être remplacée.

 

 

En conclusion, il y a lieu de s’interroger sur les réelles pratiques et intentions des grands acteurs du marché de l’art tribal africain. Ces enjeux sont particulièrement frappants au regard des revendications post colonialistes. En effet, le blanchissement, l’exclusion, le culte de la personnalité, sont des phénomènes issus d’une vision ethnocentrique vivement critiquée. Il serait alors temps d’adopter un regard davantage contemporain sur l’art tribal africain. Bien que différents tant dans leurs pratiques que dans leurs intentions, tous ces acteurs sont liés par une chose : la passion. C’est ce qui devrait primer dans les échanges commerciaux, afin de respecter les populations qui ont produit l’objet et l’ont fourni aux européens. Il est ainsi du devoir des nombreux collectionneurs d’art tribal africain de redéterminer ce marché, qui dépend essentiellement d’eux.

 

 

Bibliographie :

Bonnain-Dulon, Rolande. « Art primitif : prix du désir, prix de l'objet », Ethnologie française, vol. vol. 35, no. 3, 2005, pp. 401-409.

Touré, Diala. « Art africain et marché de l’art : provenance et pedigree des œuvres sans visa », Présence Africaine, vol. 191, no. 1, 2015, pp. 53-62.

 

 





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